Un film de J.J. Abrams
Quand on en vient à parler de Star Trek, on peut utiliser l'expression de série culte. Créée au milieu des années 60 par Gene Roddenberry, un ancien aviateur, elle ne remporte pas un succès public flagrant, passant à deux doigts de l'annulation pure et simple à la fin de chacun de ses trois saisons. Plus que son décorum flashy souvent kitsch (destiné à éprouver les toutes nouvelles télévisions couleurs du public américain), c'est la philosophie de la série qui donne à Star Trek toute sa valeur. Le vaisseau Enterprise et sa "mission d'exploration de nouveaux mondes étranges" est pacifique, poursuivant le but de l'amélioration de la connaissance, de l'ouverture d'esprit et du dépassement des clivages (sociaux, intellectuels...). Une mission humanitaire. Les relations inter-personnages deviennent des symboles, comme le trio de tête de l'Enterprise, Capitaine Kirk, qui incarne l'action, Monsieur Spock, la réflexion et Leonard "Bones" McCoy, l'humanité pour un ensemble qui cherche constamment son point d'équilibre. Parlant des problèmes de son époque tout en faisant voyager le spectateur vers des terres inconnues et fantastiques, la série a gagné ses fans sur la durée, lors de rediffusions.
Vaisseau-amiral de la Paramount, Star Trek et sa mythologie sont depuis exploités sous les formes les plus diverses (série animée, films de cinéma, nouvelles séries télévisées, romans, jeux, ...), avec un résultat forcément inégal : pour une trilogie de films assez réussie -Star Trek II : la colère de Khan (Nicholas Meyer, 1982), Star Trek III : A la recherche de Spock (Leonard Nimoy, 1984), Star Trek IV : Retour sur Terre (Leonard Nimoy, 1986)-, on a droit à un film en dessous de tous les standards de qualité (et d'un ridicule absolu), Star Trek V : l'ultime frontière (William Shatner, 1989). Après plus d'une décennie sans nouvelle sortie cinéma, Paramount décide de tourner un redémarrage de la saga, procédé très en vogue ces dernières années (Casino Royale, Batman Begins, X-Men : le commencement, La planète des singes : les origines, tout bientôt The amazing Spider-Man et... encore un nouveau Batman, après le Dark Knight Rises de Christopher Nolan). Bien pratique, le reboot permet de repartir d'un nouveau pied, garder "l'essence du culte" en biffant les éléments trop datés. Et Paramount de donner les clés de l'Enterprise à J.J. Abrams, homme de télévision (Alias, Lost, Fringe) ayant donné à une autre série, Mission : Impossible, son numéro 3 en 2006. L'homme de la situation en quelque sorte, aimé des geeks (qui sont peut-être les seuls à aimer Star Trek en France).
Que fait J.J. Abrams de Star Trek ? Eh bien, on a l'impression qu'il gomme plus d'éléments qu'il n'en conserve ; d'abord pour faire de son film un teen-movie.
Revenant à l'enfance de Kirk et Spock, il en fait des rebelles (l'un est une tête brûlée que rien n'arrête, l'autre un jeune garçon coincé entre ces origines humaines et vulcaines). Kirk court toutes les filles, boit comme un trou, tandis que Spock, bien que plus réservé, n'en a pas moins une puissante détermination. Ce rajeunissement ne va pas sans certaines conséquences, la plupart mauvaises pour la franchise : des séquences totalement improbables, montées dans une hystérie permanente, visent à appuyer de façon bien trop démonstratives les caractères des personnages (le film démarre sans qu'on sache de quoi il s'agit à bord d'un vaisseau assiégé dans lequel une femme accouche en urgence de celui qui deviendra Kirk ; le même Kirk, quelques années plus tard, fait une course contre lui-même dans le désert au bord d'un précipice à ciel ouvert, une aberration topographique). Uhura se retrouve au milieu d'un triangle amoureux entre Kirk et Spock (quelle aime, trait que l'on retrouve par petites touches dans la série originale), dans une écriture aux ressorts de sitcom (Kirk couche avec la colocataire d'Uhura lorsque celle-ci rentre à l'improviste ; Simon Pegg joue un Scotty déconneur, sympa mais qui semble plus échappé de Spaced que de Star Trek), saupoudrée d'effets de pyrotechnie aussi grandioses que vains. Bref, J.J. Abrams nous mitonne un space-soap opera.
La force thématique de Star Trek disparaît donc sous un déluge d'effets et de complexes jeux temporels faisant des clins d'oeil au fans. Ainsi, si l'on a le bonheur de retrouver Christopher Pike, permier commandant historique de l'Enterprise, ainsi que Leonard Nimoy dans une émouvante interprétation de son personnage fétiche, et Zachary Quinto quand même très bien dans le rôle, ce sera bien tout ce qu'il y a à sauver dans les 2h de ce (pour l'instant) dernier voyage du plus beau vaisseau de Starfleet. Et, même si William Shatner n'est pas un foudre de guerre question jeu d'acteur, le remplacer Chris Pine, inexpressif au possible, n'était pas non plus une si brillante idée... Mieux vaut se revoir un bon épisode de la série originale (par exemple Planète des illusions, et la tenue out of this world d'Andréa !) plutôt que ce remix qui n'a plus grand chose à voir avec le projet originel de Roddenberry.